Fils du feu - Guy Boley
D'habitude je rédige mes chroniques très vite après mes lectures, par peur de ne plus retrouver les émotions justes, de les voir s'atténuer au fil du temps. Mais en refermant Fils du feu il y a plusieurs mois, j'avais comme l'intuition que les sensations que m'a procurées cette écriture n'étaient pas près de s'éteindre. Allez, je peux le dire à présent. Parmi les 16 premiers romans retenus dans la sélection d'automne des 68 premières fois, celui-ci est mon préféré. Pour sa langue. Pour la force d'une écriture chatoyante. Pour l'incandescence d'un texte travaillé avec une précision extrême et qui s'inscrit pour longtemps dans les méandres de votre imaginaire.
Un livre brûlant. Qui dit avec une langue sublime les absences qui nous remplissent, nous constituent et nous construisent. Nous sommes faits de ceux qui étaient là avant nous, comme Jérôme, le narrateur est "fils de feu", fils d'un forgeron ferronnier d'art, lui-même forgé par des millénaires de savoir-faire, et à tout jamais constitué de l'absence de son petit frère, Norbert, mort dans l'enfance.
" "Tu périras par le fer", était-il écrit à la fois dans la Bible et dans Les Trois Mousquetaires. Dieu et Alexandre Dumas ne pouvaient pas ensemble se tromper sur une phrase aussi bénigne."
L'enfance de Jérôme est ainsi bercée par l'activité de son père et marquée par la figure d'un homme, Jacky, employé de la forge qui exerce un pouvoir d'attraction dont l'enfant ne comprendra que beaucoup plus tard la signification. Car la route est longue qui mène à la connaissance de soi. Lorsque le petit frère disparaît, Jérôme accepte d'entrer dans le jeu de sa mère qui s'attache à maintenir en vie cet enfant dont elle ne peut se résoudre à admettre la mort. Tandis qu'au dehors, pendant les 30 glorieuses, l'industrialisation condamne les métiers artisanaux, Jérôme voit son père péricliter, la magie du feu laisser place à un désert aride. Les fantômes prennent bientôt la place des êtres ou des activités disparues et pour Jérôme, le chemin est chaotique...
"Il faut bien que toutes les horreurs du monde enfantent des printemps si nous voulons durer au-delà du chagrin."
L'imaginaire et l'art seront les deux étais qui le maintiendront debout et l'aideront à avancer, lui permettant de se nourrir, parmi les décombres, d'étincelles de vie plus fortes que le poids des fantômes. La langue est belle, le propos est une ode à la vie qui se transmet, toujours, envers et contre tout. Une langue poétique, charnelle, nourrie de références littéraires.
Fils du feu est un livre magnifique écrit dans un style flamboyant que l'on ne rencontre plus si souvent. Un livre rare, de ceux que l'on a envie de préserver et de chérir, comme une espèce en voie de disparition.
"Fils du feu" - Guy Boley - Grasset - 158 pages
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