Mon dernier continent - Midge Raymond
Je suis sûre qu'un sondage portant sur le meilleur décor pour accueillir une histoire d'amour ne mentionnerait même pas l'Antarctique... Et pourtant. C'est bel et bien ce continent que choisit Midge Raymond pour nous parler d'amour. Au milieu des manchots et des icebergs, dans des paysages aux multiples tonalités de blanc et de bleu. Un décor malheureusement menacé par la curiosité d'un monde qui a fait du tourisme de masse une habitude aussi néfaste qu'envahissante. Roman écolo donc. Mais un roman d'amour, un vrai.
L'histoire de Deb et de Keller prend naissance au large d'Ushuaia, dans un décor d'icebergs où ils se rendent chaque année, au cours de l'été austral pour étudier les manchots empereurs et les manchots Adélie. Deux trentenaires qui trouvent ici un refuge, loin des bruits du monde qui les agressent pour des raisons différentes. Passionnée depuis l'enfance par les oiseaux, Deb a toujours préféré leur compagnie à celle de ses congénères. Marqué par un terrible drame, Keller a choisi de rompre avec sa vie d'avocat new-yorkais et de partir sur les traces de grands explorateurs dont il admire le parcours. Ces deux-là, épris de solitude, fascinés par l'immensité blanche et la beauté de l'Antarctique, ces deux-là vont se reconnaître, s'apprivoiser et finir par former un drôle de couple, réuni pendant quelques semaines par an dans leur campement, poursuivant leurs vies séparément pendant le reste de l'année. Jusqu'au naufrage, annoncé depuis les premières pages, drame annoncé mais dont on ne découvre les conséquences qu'à la toute fin du livre.
Car le drame est inévitable. La romancière nous raconte comment, pour financer leurs missions d'étude et notamment leur transport, les chercheurs acceptent d'accompagner des touristes embarqués sur les bateaux qui font la navette parmi la multitude d'ilots du continent de glace. Comment ils voient cette activité croitre dangereusement. Comment ils assistent, impuissants à l'arrivée dans les parages d'un bateau de croisière bien trop gros pour pouvoir se mouvoir avec suffisamment d'agilité parmi les icebergs... D'un côté Deb et Keller, passionnés, puristes dont l'esprit est avant tout dirigé vers la sauvegarde du continent et de ses habitants. De l'autre, des hordes d'envahisseurs à jumelles, dont la seule motivation est de pouvoir dire qu'ils ont "fait l'Antarctique".
On apprend énormément de choses sur cette région et le voyage est magnifique. Guidés par Deb, on apprivoise petit à petit ce petit monde glacial et merveilleux que l'on aimerait voir laissé en paix et surtout préservé. Et puis l'émotion gagne peu à peu, tandis que la relation entre Deb et Keller évolue et qu'on les voit se débattre entre l'envie d'être ensemble tout le temps et la nécessité de rester fidèles à leurs convictions, à leurs identités. Relation magnifique où aucun ne veut entraver l'autre. Et je défie quiconque de ne pas verser sa petite larme à la fin.
Un premier roman très convaincant, une plume qui parvient à nous faire sentir le froid, un voyage agréablement dépaysant. Un roman d'aventures et une très belle histoire d'amour au service d'un propos vraiment utile qui est aussi un cri du coeur pour alerter sur les ravages des croisières de masse. Et si on laissait une fois pour toutes les manchots en paix ? Si on arrêtait de détruire notre planète ?
"Avec Keller à mes côtés, nuit et jour, pour travailler ensemble pendant de longues heures, partager nos repas, nous retirer sous la tente dès le crépuscule, je ressens un optimisme que je n'ai pas connu depuis des années. Moi qui me suis longtemps identifiée à ce continent, à son désespoir glacé, à sa nature inexorablement éphémère, je me sens remplie d'une énergie nouvelle comme si ce que nous accomplissions pouvait faire la différence après tout."
"Mon dernier continent" - Midge Raymond - Stock La cosmopolite - 294 pages (traduit de l'anglais par Carole Hanna)