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Une histoire trop française - Fabrice Pliskin

19 Septembre 2017 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Lors de la très belle matinée de présentation de la rentrée des éditions Fayard en juin dernier, j'ai tout de suite tilté sur Une histoire française, malgré sa couverture rose (je déteste le rose), même si elle s'avère être un parfait contre-pied à l'esprit du livre. Et je n'ai pas été déçue. C'est aussi cash que je le pressentais, écrit avec un bazooka trempé dans l'ironie, riche des observations de l'auteur, journaliste qui en a vu passer des vertes et des pas mûres dans les colonnes économie et société de l'hebdomadaire auquel il contribue.

C'est l'histoire d'une entreprise, de ceux qui la font tourner et de ceux qui subissent les conséquences de leurs décisions. Jodelle Implants est un des leaders mondiaux de la fabrication de prothèses mammaires (toute ressemblance avec une entreprise ayant récemment défrayé la chronique n'est évidemment pas fortuite). Son patron et fondateur, Jean Jodelle se veut le leader d'une société exemplaire sur le plan social : recrutement de profils atypiques, diversité, avantages sociaux, team building... l'image est belle et les employés du groupe, encouragés chaque matin par l'envoi d'un poème ou d'une fable n'ont vraiment pas à se plaindre. Alors, lorsque Louis Glomotz, critique littéraire au chômage depuis trop longtemps se voit proposer un job par Jean Jodelle, un camarade de promo, il se résout à mettre ses ambitions littéraires de côté pour rédiger les multiples communiqués et courriers de l'entreprise à destination des organismes de contrôle et du grand public. Ce qu'il découvre derrière la façade (rose) va néanmoins dépasser tout ce qu'il aurait pu imaginer jusqu'à le placer face à un dilemme : cautionner pour préserver cette nouvelle situation inespérée ou dénoncer au bénéfice de tous ? Collaborer ou résister ?

Ce qui est frappant dans ce roman c'est que l'auteur ose forcer le trait et tirer jusqu'au bout ses fils narratifs, quitte peut-être à choquer ou à rebuter le lecteur. Il fait des employés de Jodelle des complices de la fraude, en toute connaissance de cause. Mais des complices modelés par la société, la peur du chômage, les techniques de management qui valorisent l'esprit d'entreprise et le cynisme ambiant.

"Jodelle est dans son rôle, aime à répéter Duclos. Une locution à la mode en France, où chacun, désormais, est dit "dans son rôle" : le patron qui vous licencie, le CRS qui vous matraque, l'artiste performeur qui se barbouille d'excréments. Jodelle est donc dans son rôle, quoique la légitimité du "rôle" qui consiste à inonder la planète d'implants néfastes à la santé des femmes reste difficile à définir".

Louis Glomotz et Jean Jodelle sont passés par les mêmes écoles et pourtant, leurs visions et attentes de la vie sont diamétralement opposées. Néanmoins, la pression des contraintes économiques - il faut bien assurer le train de vie de la belle Eudoxie - amène Louis à interroger les fondements même de sa conscience. D'autant que lui-même a déjà fait les frais du capitalisme sauvage lors du rachat du journal où il travaillait par un magnat de l'industrie et des affaires (toute ressemblance...) qui a abouti à son licenciement.

Oui, l'auteur y va fort mais sa technique permet d'opposer les arguments des uns et des autres avec une réelle clarté, qui donne parfois la nausée, je vous l'accorde. Elle décortique les mécaniques qui ont déjà fait leurs preuves dans le passé (le parallèle avec la période de l'occupation n'est pas loin) et qui transforment des individus a priori inoffensifs en complices de crimes. Il fut un temps où on les appelait des collabos.

Oui, j'ai pris un énorme pied à lire ce roman d'un auteur qui n'hésite pas à cogner tout en y mettant les formes, un auteur qui met à nu quelques vérités trop souvent travesties et attire l'attention sur les ravages d'une société par trop individualiste. Une lecture qui incite à la méfiance (n'oublions jamais que les entreprises sont des outils de profit avant tout) et dont les effets secondaires sont de mettre en valeur le rôle précieux des lanceurs d'alertes, eux qui savent résister aux sirènes sans en être jamais bien récompensés ou remerciés.

"Une histoire trop française" - Fabrice Pliskin - Fayard - 414 pages

 

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