La symphonie du hasard - Livre 2 - Douglas Kennedy
"Toutes les familles sont des sociétés secrètes" étaient les premiers mots du premier volet de cette grande fresque et cette affirmation ne cessait d'être vérifiée au fur et à mesure que nous faisions connaissance avec la famille Burns. En partant à l'université, Alice pensait avoir mis suffisamment de distance entre elle et sa famille mais ceux qui ont lu ce premier tome savent que les choses sont bien plus compliquées... Nous avions laissé la jeune femme en train de boucler ses valises, nous la retrouvons à son arrivée à Dublin où elle s'apprête à passer une année à Trinity College.
Nous sommes en janvier 1975, en plein hiver et la première vision qu'Alice a de la ville est plutôt triste, humide et sombre. Une logeuse bigote et rigide, une nouvelle culture et des habitudes à appréhender... heureusement pour Alice, quelques bonnes rencontres, des figures chaleureuses se dressent sur sa route et surtout, elle est assez fine pour savoir les reconnaître et orienter son séjour de la meilleure des façons. Alice prend vite le pli des pintes de Guinness et apprend à apprécier le feu du whisky qui réchauffe autant que l'ambiance des pubs. Mais mettre un océan entre soi et sa famille ne garantit pas la tranquillité... Un fantôme surgit du passé, Peter (son frère aîné) rentre du Chili et la convoque à Paris, les activités de son père dans ce même pays où Adam, le benjamin de la fratrie l'a suivi restent toujours aussi mystérieuses. Quant aux relations avec sa mère, Alice préfère les gérer de très loin.
"En grandissant, nous prenons des décisions que nous n'aurions pas prises si nous n'étions pas asphyxiés par le sentiment d'être redevables envers nos parents, qui nous ont donné naissance, nous ont nourris, vêtus, éduqués... et qui attendent de nous d'être rétribués pour toutes ces années de sacrifice."
La toile tissée dans le premier volet s'enrichit et se complexifie. La grande fresque politique et sociétale commence à prendre de l'épaisseur. En s'installant à Dublin, Alice a désormais un point de comparaison extérieur avec l'Amérique, elle découvre le monde, enrichit son expérience et porte un regard plus circonspect sur ses congénères. La politique est omniprésente avec la ligne frontière entre les deux Irlande et la menace permanente qui plane dans l'esprit des citoyens quand l'actualité est rythmée par les explosions et autres faits d'armes de l'Ira. Les échos du Watergate et des affrontements entre pro et anti Pinochet en Amérique du sud complètent le décor. Les descriptions de Dublin sont captivantes tout comme l'étude des différences comportementales entre New-yorkais et Dublinois. Le parti pris de Douglas Kennedy est intéressant, remonter aux sources, dans le pays qui a fourni une bonne partie de la population de New York... Il nous offre des commentaires et des analyses très fines, certainement puisées dans sa propre expérience. L'opportunité pour Alice d'en explorer aussi la littérature et de poser les jalons de son futur métier d'éditrice.
J'avais trouvé le premier volet très agréable, j'ai carrément dévoré celui-ci qui prend une tout autre dimension avec toujours au centre la question de ce que l'on fait ou pas de sa vie. Hasards ou opportunités ? Ce qui nous arrive est-il écrit ou sommes-nous maîtres de nos destins ? Soumis à des pressions familiales, influencés par un contexte politique, contraints par des injonctions sociétales, comment pouvons-nous nous exprimer, nous réaliser ?
Surtout, ce que j'avais commencé à entrevoir dans le tome précédent se confirme : la sincérité qui sous-tend l'ensemble du propos indique clairement à quel point l'auteur porte ce livre en lui depuis certainement de nombreuses années. Au point que je ne serais pas étonnée de l'entendre un jour déclarer : "Alice Burns... c'est moi !"
En attendant, le bougre a bien réussi son coup, avec cette fin d'épisode dramatique... il me faut la suite, et vite !
"La symphonie du hasard" - Livre 2 - Douglas Kennedy - Belfond - 330 pages (traduit de l'américain par Chloé Royer)