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Vivre ensemble - Emilie Frèche

28 Août 2018 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Vivre ensemble est l'un des premiers romans de la Rentrée littéraire que j'ai lus en juin après avoir eu la chance d'en recevoir un certain nombre en avant-première. Bizarrement, je n'avais encore jamais rien lu d’Émilie Frèche et sa prestation très alléchante lors de la grande réunion de présentation des Éditions Stock m'a convaincue qu'il était peut-être temps de faire connaissance. Il faut dire qu'en général, mais cette année en particulier, j'ai envie de sujets forts et de paroles engagées. Loin des consensus. Ce sont des prises de position risquées, qui ne cherchent pas l'unanimité. Pour moi, ce sont surtout des prises de parole nécessaires pour faire bouger les lignes et donner à réfléchir.

Et franchement, à l'entame du livre, avec ce premier chapitre époustouflant, le sujet fort, on sent qu'on le tient. Ce fameux "vivre ensemble", cette expression que l'on a entendu dans toutes les bouches au lendemain des attentats de 2015, ces deux mots martelés à l'envi dans les colonnes des journaux, ce fameux "vivre ensemble" donc, que nous aurions perdu et dont il faudrait retrouver les codes, voyons déjà ce que cela donne à l'abri des murs d'un appartement familial. Là où Déborah et Léo d'un côté, Pierre et Salomon de l'autre ont décidé de s'installer et de recomposer une famille à partir de pièces rapportées. Certes, cela se fait dans l'urgence de l'émotion née du choc des attentats du 13 novembre. De ces chocs qui vous font dire qu'à force de remettre à demain, on risque de ne jamais. Déborah et Pierre s'aiment, aucune raison de penser que Léo et Salomon, après un temps d'adaptation, deux garçons qui ont à peu près le même âge ne puissent s'habituer l'un à l'autre. Dès les premières pages, on comprend que le pari est de taille face à la violence affichée par Salomon, bien décidé à haïr Léo et Déborah. Rapidement, on perçoit le téléguidage de sa mère, l'ex de Pierre qui semble mettre un point d'honneur à pourrir l'ambiance. Rapports heureusement moins tendus entre Déborah et Driss, le père de Léo mais pas forcément simples non plus. De quoi transformer cet appartement en mini territoire de Gaza, d'autant que les considérations culturelles (toutes les religions ou presque sont ici représentées) ne sont pas absentes.

Emilie Frèche utilise donc la cellule familiale comme point d'observation de la difficulté à mettre en pratique ce fameux "vivre ensemble" dans la société ce qui permet de concrètement mettre en avant tous les points d'achoppement : différences culturelles, antécédents familiaux, principes d'éducation mais également pressions externes au groupe, infiltrations d'éléments toxiques, sans oublier la mauvaise foi, difficile à contrôler. Résultat : une montée inexorable de la violence. Certes, on pourra reprocher une tendance à la caricature pour parvenir à fignoler sa démonstration. Mais encore une fois, si on n'appuie pas le trait, comment bien distinguer le problème ? Personnellement, non seulement cela ne m'a pas gênée mais je l'ai parfaitement admis dans l'état du propos qui est le sien. Avec une question qui reste donc posée : comment vivre ensemble à l'échelle d'un pays, d'un continent ou du globe quand les incompréhensions et les problèmes de territoire peinent à être résolus entre quatre murs ?

Une question pour laquelle la romancière n'avait peut-être pas imaginé une telle mise en abyme avant même la parution de son livre. Loin de moi l'idée de me mêler de la polémique, je n'en connais aucun des protagonistes et me garderai bien d'extrapoler sur les intentions des uns ou des autres ; par contre, assister aux mises à l'index, aux sonneries d’hallali, ou encore aux appels au boycott de la part d'individus qui n'en savent pas plus que moi sur les réseaux sociaux laisse penser qu'on a encore du boulot côté "vivre ensemble". Vivre ensemble est un roman, une fiction à l'objectif bien affiché. Je regrette que cette polémique masque son sujet réel et occulte la discussion qu'il aurait pu déclencher.

Pour ce qui est de mon expérience de lecture, c'est simple, j'ai beaucoup aimé ce roman que j'ai trouvé courageux, provoquant et convaincant.

"Vivre ensemble" - Émilie Frèche - Stock - 282 pages

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N
Tu vois, je suis tellement à l'ouest que je ne suis même pas au courant de cette fameuse polémique...<br /> Par contre je crois avoir déjà lu l'auteure et je n'en garde pas de souvenir impérissable... A voir donc ;-)
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N
Tant mieux. Après, ses partis pris sont clivants donc on aime ou on n'aime pas...
E
j'ai moi aussi été marquée par le discours d'Emilie Frèche à la présentation Stock, je l'ai trouvée vraiment pertinente, et le thème de la famille recomposée m'intéresse beaucoup. C'est un des prochains romans que je vais lire (je lis les Américains en priorité pour le Festival America) et quant à la polémique, je la mets de côté - et les indignations faciles sur Facebook, basées sur quelques maigres éléments et sur du pathos, m'agacent sérieusement.
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N
Je guetterai ton billet alors :-)<br /> Moi aussi je prépare activement le Festival America !