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Le coeur battant du monde - Sébastien Spitzer

11 Septembre 2019 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Décidément, Sébastien Spitzer semble fasciné par les relations filiales compliquées. Son premier roman, Ces rêves qu'on piétine mettait en lumière la terrifiante situation de Magda Goebbels, épouse d'un haut responsable nazi et fille honteuse de Richard Friedländer, juif, qu'elle refusera de sauver du destin promis par le régime qu'elle soutient. Cette fois, le ressort sur lequel s'appuie l'auteur est également un fait réel : Karl Marx, réfugié à Londres dans les années 1860 a eu un fils bâtard, écarté secrètement à la naissance. Secret très bien gardé, comme l'explique la postface, notamment par l'Union soviétique très désireuse de préserver l'image de son grand homme. Matière idéale pour le romancier qui s'en empare ici avec un plaisir perceptible au fil des pages. Car le sujet ne suffit pas à faire un bon roman. Il faut du souffle, l'envie de tisser des histoires, de l'amour pour ses personnages, de l'empathie aussi. C'est ce que l'on trouve dès les premières lignes qui vous emportent immédiatement. C'est parti pour une immersion haletante, pleine de fureur et de tendresse !

Il y a d'abord ce Londres de 1860, capitale de l'Empire le plus puissant du monde où se côtoient la réussite et la misère la plus totale, à l'image du pays tout entier. La révolution industrielle bat son plein, les règles du capitalisme amplifient les inégalités. Les irlandais fuient la famine et luttent contre le joug anglais. Charlotte fait partie de ceux-là. Elle débarque à Londres sans un sou, enceinte et la tête rasée après avoir vendu ses cheveux, son dernier bien. Un formidable concours de circonstances va la mettre sur la route d'un médecin plutôt arrangeant qui jouera un rôle primordial dans ce qui conduira à l'adoption du petit Freddy, issu des amours adultères de Marx. Carambolage de destins, non sans une bonne dose d'ironie. Le personnage de Marx que nous présente l'auteur n'a pas grand-chose pour plaire. Incapable de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, il dépend entièrement de sa femme et d'Engels. Hautain, imbu de lui-même, il vit surtout en contradiction totale avec les idéaux qu'il prêche et pour lesquels il est pour l'heure condamné à l'exil et à la clandestinité. Bientôt, la crise économique couve dans le pays, l'industrie textile souffre de la pénurie de coton liée à la guerre de Sécession aux Etats-Unis, les esprits et les corps s'échauffent...

Voilà pour le contexte. A partir de là, Sébastien Spitzer compose un formidable roman, totalement addictif, qui nous plonge avec une étonnante facilité dans cette Angleterre victorienne à l'atmosphère palpable que ne renierait pas une Anne Perry. Le souffle romanesque transcende la trame historique, attache le lecteur à chaque personnage, à commencer par la courageuse Charlotte, sans oublier tous les seconds rôles qui contribuent aux couleurs de la fresque. J'ai une tendresse particulière pour les deux femmes qui partagent la maison d'Engels, mais... je n'en dis pas plus. Par contre, ce dont il faut parler, c'est la force, la colère qui couve entre les lignes face au système, à la dictature de l'argent qui écrase et tue les plus faibles. Chaque plongée dans l'Histoire est toujours utile pour mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons ; le rôle de l'Angleterre à l'époque était considérable et cela m'a toujours fascinée. J'aime lire les romanciers britanniques, du 19ème siècle et les plus contemporains et j'avoue que je suis assez bluffée par l'exercice de Sébastien. J'ai lu à quelques jours d'intervalle son roman et celui de Jonathan Coe, Le cœur de l'Angleterre (amusant ces deux cœurs, non ?) et j'ai trouvé captivantes et troublantes ces immersions anglaises qui se font écho à bien des égards à 150 ans de distance.

En refermant ce roman, je me suis dit que Sébastien Spitzer avait réussi le même exploit que Pierre Lemaître avec Au revoir là-haut : une fresque foisonnante, aussi instructive que divertissante, qu'il serait fort réducteur de classer dans les romans historiques tant son propos est intemporel. Je ne peux que lui souhaiter le même destin...

"Le cœur battant du monde" - Sébastien Spitzer - Albin Michel - 446 pages

Lire également mon portrait de Sébastien Spitzer passé au tamis d'une partie de tennis.

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A
Je passe minutes sur ton blog et j'ajoute trois titres à ma liste.. Ça suffit ! ;-)
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N
Seulement trois ? ;-)
M
La comparaison avec Pierre Lemaître me pousse à m’intéresser à cet auteur, très souvent croisé mais jamais rencontré.... Il le faudrait pourtant !
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N
Mais oui, je pense que ça vaut le coup d'y goûter, notamment avec ce deuxième roman très emballant.
P
Le sujet me semble passionnants, mais c'était déjà le cas de son premier roman qui m'avait pourtant bien ennuyée...
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N
Ah ben ce n'est pas Francis Rissin, hein... ;-) / Moi j'avais bien aimé Ces rêves qu'on piétine mais je comprends aussi ton ressenti. Je pense que le mot ennui ne devrait pas être associé à celui-ci en revanche... ça me semble impossible :-)
M
Merci pour cette belle chronique ! Je languis vraiment de le découvrir moi-aussi...j'avais beaucoup aimé "Ces rêves qu'on piétine"
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N
Alors tu ne devrais pas être déçue :-)
K
Je ne l'avais pas noté jusqu'alors, mais ton billet est convaincant, la comparaison avec Pierre Lemaître aussi, sans doute...
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N
Je trouve qu'il a vraiment gagné en ampleur dans l'écriture et en souffle romanesque. La base historique est solide, mais il faut arriver à la transcender... C'est en ce sens que je le compare à ce qu'a fait Lemaître.