Lunch-Box - Emilie de Turckheim
"Un accident est un problème de tempo. Un décalage. Il aurait suffi d'un battement supplémentaire de métronome pour que nos vies soient sauvées".
Quoi de plus insignifiant qu'une lunch-box dans ce quartier résidentiel de Zion Heights sur la baie de Long Island qui abrite une communauté d'expatriés autour de l'école bilingue ? Ces petites boîtes que les mères (les pères très occupés par leurs vies professionnelles semblent en ignorer l'existence) remplissent avec amour et attention pour le déjeuner de leur progéniture ont fini par devenir un symbole de leur intégration au mode de vie américain. Un objet du quotidien, banal, et qui pourtant, objet central d'un accident va bouleverser les vies de toute la communauté. C'est ce que met en scène avec un parfait sens du timing et de la narration Emilie de Turckeim en s'inspirant d'un fait divers survenu en 1987 alors que, enfant elle résidait dans cette région des Etats-Unis avec ses parents. On imagine très bien comment cette histoire s'est tracé un chemin dans l'esprit de la romancière tentant de suivre les méandres capricieux du destin, d'emprunter les voies suggérées par les multiples "et si...", esquissant des tentatives d'explications qui viennent se briser sur les murs de l'incompréhension. Un accident, c'est une conjonction complexe d'éléments qui tendent vers un objectif qu'aucun des protagonistes de maîtrise. Des éléments que l'on peut ensuite passer sa vie à décortiquer pour tenter de leur trouver un sens.
Dans ce roman, personne n'est coupable et tout le monde l'est. La question est de savoir comment à présent que le drame s'est produit chacun va pouvoir vivre avec. A commencer par Sarah, professeure adulée et recherchée, sorte de mascotte de l'école jusqu'à ce que son rôle au premier rang de l'accident ne la propulse dans le camp des indésirables. Et Solène, bien sûr, anéantie au point de devenir jalouse d'une loutre et de trouver du réconfort dans son mémoire de droit sur "La théorie de la causalité adéquate". Emilie de Turckheim raconte cette petite communauté, ses codes, cette façon significative d'intégrer ou d'exclure un membre que l'on a pu apprécier dans nombre de séries américaines, mais elle le fait avec une empathie rédemptrice. Et surtout elle s'empare avec maestria de cet état en apesanteur dans lequel chacun peut être plongé lorsque survient l'irréversible et que l'on ne sait plus à qui ni à quoi se raccrocher. Pour mieux les suivre sur le chemin de la consolation.
Lunch-Box est un roman qui se lit en apnée, dans lequel j'ai retrouvé avec plaisir l'univers d'Emilie de Turckheim et son génie narratif. Une auteure à laquelle la ville du Mans devrait décerner une médaille pour cette dernière phrase "Elle me dit qu'elle est certaine que la ville du Mans me plaira. Les Manceaux et les gens de passage le savent : on y fait les plus grandes rencontres de sa vie."
"Lunch-box" - Emilie de Turckheim - Gallimard - 252 pages