Perspective(s) - Laurent Binet
Je dois à Laurent Binet quelques-unes de mes meilleures lectures avec HHhH puis La septième fonction du langage (jubilatoire !) alors ma légère déception vis à vis de Civilizations (dont je n'ai pas parlé ici) n'a en rien occulté mon envie d'en lire plus. Perspective(s) faisait partie des titres notés dès sa sortie, de ceux que l'on se réjouit d'ouvrir après avoir fait durer l'attente. L'Italie de la Renaissance et des arts, les embrouilles politiques des Medicis et consorts, une forme épistolaire mâtinée de polar... le menu était prometteur. Pourtant...
La préface a quelque peu refroidi mes ardeurs. Tous ces avertissements au lecteur (tout en affirmant sa confiance en lui) étaient-ils vraiment nécessaires ? Je les ai reçus comme l'affirmation d'une crainte de ne pas être compris (ou cru) en même temps qu'une tentative d'ironie qui est singulièrement tombée à plat. Cela a-t-il joué sur la suite de ma lecture ? Peut-être. Toujours est-il qu'elle fut plus laborieuse qu'agréable. L'idée de départ est néanmoins alléchante. Nous sommes à Florence en 1557, le peintre Pontormo est retrouvé assassiné au pied des fresques auxquelles il travaillait depuis des années avec l'ambition de concurrencer celles de Michel-Ange pour la chapelle Sixtine. Le duc de Florence charge Vasari de faire la lumière sur ce crime dans un contexte politique tendu par les luttes de pouvoir en Europe, et ce dernier n'hésite pas à se confier à Michel-Ange alors établi à Rome pour tenter d'expliquer une retouche étonnante sur la fresque ainsi que l'existence d'un tableau représentant Maria, la fille du duc dans une position qui pourrait créer le scandale. Cette dernière, promise à un rustre n'est pas insensible au charme d'un jeune page et entretient une correspondance cachée avec Catherine de Médicis, l'actuelle reine de France. Laurent Binet bâtit son roman par un procédé entièrement épistolaire où s'expriment toute la complexité d'une époque et l'éventail des caractères humains : ambition, jalousies, calcul, manipulation, mensonges. Tout ceci sur fond d'Inquisition, de crimes et de censure. De quoi concocter un repas plutôt roboratif.
L'auteur s'est sans doute beaucoup amusé à tisser son récit dans les trous laissés par les faits historiques avérés. Le matériau offert par l'époque est idéal à triturer pour en tirer un écho qui n'est pas sans évoquer des temps plus récents. De la graine de syndicaliste chez les broyeurs de couleurs, des œuvres d'art soumises à l'approbation des puissants, l'ancêtre de la fabrication des fake news... Alors pourquoi me suis-je ennuyée ? Peut-être parce que j'ai eu l'impression d'avoir sans arrêt le cul entre deux chaises faute de réel parti pris de la part de l'auteur. Ni fresque historique, ni exercice de style épistolaire à la manière de (les lettres sont trop uniformes et manquent de voix différentes), ni polar (la révélation est un flop), ni même parodie complètement assumée (la crudité du ton ne peut pas tout faire). Mon intérêt n'a jamais été totalement capté et s'est souvent évaporé entre les trop nombreux protagonistes décidément très bavards de leurs plumes. Quant à la démonstration autour de la notion de perspectives, elle s'est noyée dans la masse.
Déception, donc, d'autant plus forte que j'en attendais beaucoup.
"Perspective(s)" - Laurent Binet - Grasset - 304 pages
Delphine a un tout autre avis, totalement séduite par l'exercice.